De facture robuste et d’un rendu assez naïf, ce modèle d’un trois-mâts barque représenté sous toutes voiles, lancé et armé à Saint-Malo en 1884, témoigne d’une histoire et d’une sociologie précises et rattachées au pays de Saint-Malo. Le Sans-Peur est construit par la maison Guibert & Fils de Saint-Servan qui s’est reconvertie à la fin des guerres napoléoniennes et spécialisée dans l’armement morutier. Un morutier est un bateau équipé pour la pêche à la morue. La société déploie ses activités à Saint-Pierre-et-Miquelon notamment à partir de 1831 ; elle instruit également sans doute chaque année des demandes de graves à Terre-Neuve : pour pratiquer la pêche sédentaire et opérer le séchage des morues à terre.
Le trois-mâts barque dont il est question fréquente justement la côte est de l’île canadienne et le lieu de pêche dénommé havre du Grand Saint-Julien, notamment sous les ordres du capitaine Eyon, du second Leguen et du lieutenant Joncours qui dirigent un équipage composé de 46 hommes (cuisinier, charpentier, calfat, trancheur, boulanger, tonnelier, décolleurs, saleurs, maîtres et avants de senne, matelots de chaloupe, maîtres et avants de bateau). À une période où le doris n’est pas encore apparu dans les armements malouins, ce sont les baleinières — elles figurent bien sur le modèle à poste sur les bossoirs — que les pêcheurs utilisent pour capturer les morues et les ramener à terre. Le Sans-Peur continuera d’être armé à la pêche jusqu’au début du 20ème siècle.
Concernant ce modèle réduit à proprement parler, sa destinée votive ne fait aucun doute à en juger la morphologie générale et surtout la fixation d’une médaille de l’Immaculée Conception à l’extrémité tribord de la vergue du grand hunier volant. Nul doute que le Sans-Peur fut l’acteur d’un fait remarquable ou remarqué en son temps. Il y a dans ce modèle des disproportions ou des lacunes, assumées par rapport au bateau original, au niveau du gréement et du pont.
