« Pour me désennuyer j’ai peint un effet de pluie, une pochade » écrit Claude Monet dans une lettre adressée à Alice Hoschédé et datée du 9 octobre 1886. Pluie à Belle-Ile-en-Mer est l’une des 39 toiles recensées comme ayant été peintes à Belle-Ile-en-Mer par le très célèbre peintre Claude Monet, lors de son unique séjour sur l’île de la côte sud de la Bretagne, dans le Morbihan, du 12 septembre au 25 novembre 1886. À ce moment de sa carrière, il explore de nouveaux paysages naturels, sans activités humaines, auxquels il souhaite confronter la technique impressionniste. À Belle-Ile, le choix de la côte déchiquetée, des hautes falaises sombres, des tempêtes et des mers écumeuses traduit bien ses nouvelles recherches.
Toutefois, Pluie à Belle-Ile-en-Mer, dans la série des 39 toiles, est presque isolée. D’une part, les tonalités douces et claires sont plutôt celles des paysages d’Ile-de-France. D’autre part, parmi tous les paysages représentant la mer, il s’agit de l’un des rares regards tournés vers l’intérieur des terres, vers la lande belliloise peuplée au loin de quelques maisons.
C’est là le résultat d’un jour où l’artiste, lassé par l’incessante tempête, continue malgré tout à peindre mais en s’abritant au lieu-dit de Kervilahouen. Le format plutôt carré de cette toile la différencie aussi des choix traditionnels mais n’est pas unique dans cette série. La ligne d’horizon est placée au centre de la composition. Sur celle-ci se découpe un groupe de maisons du hameau de Cosquet, et, isolé à l’extrême gauche, un moulin à vent situé au nord-est de Kervilahouen sur la route de Donnant.
Il s’agit des seules formes géométriques dans ce paysage recouvert par un voile de pluie que l’artiste a traduit par de fines et longues touches obliques. Cette représentation de pluie aux lignes visibles évoque les estampes japonaises dont Claude Monet était un grand collectionneur. Il possédait d’ailleurs une œuvre du maître japonais Utagawa Hiroshige : Ohashi, averse soudaine à Atake. Les subtiles nuances de bleu et de gris du ciel ainsi que de rose et de mauve de la lande sont rehaussées par des touches plus soutenues : bleues dans le ciel, renforçant cette impression de pluie et de luminosité voilée, vertes, rouges et blanches, plus ou moins vives, des ajoncs parmi les bruyères, construisant les différents plans de la lande pour accentuer son immensité désertique.
En outre, le synthétisme radical de la composition est frappant. Tendant presque vers une certaine abstraction, il donne au tableau un aspect résolument moderne. Monet qualifiait cette toile de « pochade », terme signifiant qu’elle a été exécutée rapidement et laisse penser qu’elle est peut-être restée inaboutie. Or, l’artiste avait l’habitude de reprendre plus tard ses peintures pour les retravailler. Cela explique certainement pourquoi la toile n’est pas signée. Son authenticité ne fait toutefois pas de doute. Elle provient directement de la propriété de Claude Monet à Giverny et a été donnée par son fils Michel pour la salle inaugurée en 1927 au Musée de Morlaix en hommage au critique d’art Gustave Geffroy.